Partition de cinéma - La leçon de musique de Alexandre Desplat et Guillermo de Toro
- Emma Guillot
- 24 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Dimanche 18 mai, un moment rare s’est déroulé au Festival de Cannes : un dialogue passionnant sur la musique de cinéma entre deux artistes d’exception, Alexandre Desplat et Guillermo del Toro. Cette masterclass, animée par Stéphane Lerouge (journaliste et responsable de collections discographiques chez Universal Music Jazz France) a été rythmée par des questions aussi précises que profondes, révélant combien la musique est le cœur battant du cinéma. Alexandre Desplat, compositeur multi-récompensé, et Guillermo del Toro, cinéaste au regard singulier, ont offert au public un échange généreux, sincère, où leur complicité artistique s’est transformée en une véritable leçon de cinéma.
Dès les premières minutes, Thierry Frémaux donne le ton :« Quand on aime le cinéma, on aime la musique. Et quand on aime la musique, on aime le cinéma. » Un écho à Nietzsche, qui disait que « sans musique, la vie serait une erreur ». Ici, « sans musique, les festivals de cinéma serait une erreur. »
Contrairement à beaucoup de compositeurs qui ont découvert la musique de cinéma un peu par accident, Desplat, lui, rêvait déjà d’écrire pour l’image dès son adolescence. Il collectionnait les vinyles, retournait en salle juste pour réécouter les bandes originales. Très tôt, il comprend, en écoutant toutes ces musiques, que tout est possible au cinéma, que la musique ouvre une dimension supplémentaire : un nouvel acte, un nouvel espace, un monde parallèle fait d’émotions et d’images intérieures.
Alexandres Desplat nous joue quelques notes au piano, pour lui, composer, c’est puiser dans tout ce qui a nourri son imaginaire : les rythmes brésiliens, les mélodies grecques, les souvenirs d’enfance… et faire la synthèse de ces langages qui cohabitent en lui. Mais c’est aussi une question d’écoute, capter ce que les images ne montrent pas, mais laissent deviner.
La séquence d’ouverture de Birth reste un moment fondateur dans son parcours. Ce jogger traversant un Central Park presque irréel prend tout son sens grâce à la musique. Une ouverture lunaire, portée par une solution musicale simple et envoûtante, née d’un huis clos intense entre Desplat et le réalisateur Jonathan Glazer. Avec Birth, puis La Jeune fille à la perle, c’est toute une carrière anglo-saxonne qui s’annonce.
Un extrait de La plus précieuse des marchandises, réalisé par Michel Hazanavicius, a illustré cette idée que Desplat défend : la musique accompagne les personnages plus que l’action. Dans une scène entre un bûcheron et un enfant, la mélodie, semée dès le début du film, s’épanouit enfin, et traduit le bouleversement intime de ce personnage en train de changer.
Quand Guillermo del Toro prend le micro, la conversation change de rythme. Le cinéaste mexicain parle de musique comme d’un art sacré. Pour lui, elle est la mémoire du film, son ADN. Il dit d’Alexandre :« Il n’est pas un compositeur. Il est un réalisateur. »
Ils travaillent en miroir. Del Toro filme comme un compositeur, Desplat compose comme un cinéaste. Ils parlent la même langue : une langue d’images, de sensations. Ensemble, ils cherchent une forme de grâce, une émotion claire, juste, jamais soulignée, jamais forcée.
Dans La Forme de l’eau, del Toro voulait une caméra qui glisse comme une baleine. Desplat a écrit une bande-son fluide, presque aquatique, pour accompagner ce mouvement organique. Un extrait du film nous est d'abord montré sans musique, puis repris avec la musique. Cette approche didactique renforce l'idée que Del Toro et Desplat conçoivent : la musique ne doit pas "accompagner" l’image, elle doit la révéler, lui donner une voix, notamment aux personnages qui n'en ont pas.
Cinéphile et mélomane compulsif depuis l’enfance, Del Toro écoutait les bandes originales de films en boucle, les yeux fermés, faute de pouvoir les revoir. Ce lien profond avec la musique est au cœur de son processus créatif. Et c’est dans cette confiance totale qu’Alexandre Desplat trouve sa liberté.
Un moment de partage rare entre deux grands artistes, et une véritable déclaration d’amour au cinéma et à la musique.
Alors, y aura-t-il enfin un prix pour la musique au Festival de Cannes cette année ?Cécile Rap-Veber, directrice générale de la SACEM, le rappelle avec conviction : la musique de film est au cœur de la création, et elle mérite d’être reconnue à sa juste valeur. La rencontre entre Desplat et Del Toro en est l’illustration parfaite.
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