top of page

Yi Yi (2000) Edward Yang A one and a two — Petite taille, grandes perspectives

Dernière mise à jour : 16 mai

Yi Yi (2000) Edward Yang


A one and a two — Petite taille, grandes perspectives


Comment capturer la vie ? Comment en saisir son essence ? C’est une question aussi simple qu’inaccessible, et pourtant Yi Yi semble s’en approcher comme peu de films savent le faire. On ressort de cette expérience à la fois apaisé et traversé par une vague de mélancolie sourde. Non pas une tristesse brutale, mais celle, plus douce, de ceux qui prennent conscience que la vie passe, et qu’on ne peut que tenter d’en fixer des fragments. Et c’est bien ce que fait Edward Yang, dans ce chef-d’œuvre de la lenteur et du regard suspendu.


À première vue, Yi Yi n’a rien de spectaculaire : une famille taïwanaise, des événements ordinaires, quelques tragédies muettes. Et pourtant, tout est là. La grandeur du film se loge dans les détails, dans les respirations du quotidien, dans les silences qui disent plus que les dialogues. Edward Yang ne cherche pas à forcer l’émotion; il la laisse émerger, patiemment, plan après plan, comme un photographe développant son image dans une chambre noire.


Et au centre de ce dispositif : Yang-Yang, petit garçon d’à peine huit ans, mi-curieux mi-perdu, mais toujours lucide. Il est le témoin du monde, l’œil enfantin mais profondément juste à travers lequel le film semble respirer. Dans une scène bouleversante de simplicité, il confie à son père : « Je ne peux voir que ce qui est devant, pas ce qui est derrière. Donc je ne peux connaître que la moitié de la vérité, non ? » C’est peut-être là, dans cette phrase, que se loge tout le projet de Yi Yi. Voir ce qu’on ne peut pas voir. Compléter ce qui nous échappe. Photographier ce qui reste dans l’ombre.


Le film abonde de plans larges, parfois si étendus qu’on peine à distinguer les visages, comme si la ville, Taipei, impersonnelle et tentaculaire, avalait les individus. Mais ces personnages, bien que minuscules à l’image, n’ont jamais semblé aussi vivants. La caméra les accompagne sans les surplomber, avec une humilité rare. Chaque reflet dans une vitre, chaque miroir traversé, chaque dos filmé, devient une tentative fragile de saisir ce qui nous échappe toujours : l’autre côté, ce qui se trouve derrière.


Chez Edward Yang, le monde est suspendu. Le temps se fige sans se figer. La grand-mère est dans le coma, Yang-Yang semble ne pas grandir, la plante de Ting-Ting ne fleurit pas. Tout est en attente. Une attente du deuil, de l’amour, de la réconciliation, peut-être. Un entre-deux. Une vie mise entre parenthèses. Et pourtant, la vie est bien là. Dans chaque respiration, dans chaque hésitation, dans chaque mot qu’on ne dit pas.


Le titre, Yi Yi, « un un », résonne alors comme un battement. Un pas après l’autre. Un regard après l’autre. Un être humain après l’autre. Il n’y a pas de totalité, pas de réponse globale. Seulement des tentatives, des fragments, des perspectives partielles qui, mises bout à bout, finissent peut-être par esquisser quelque chose de plus vaste. Un début de vérité.


Et si la vie est un cycle, comme le suggère si discrètement le film, alors Yi Yi en devient le miroir. La naissance, la jeunesse, le vieillissement, la mort, et ce qui reste : les souvenirs, la trace, les photos prises par un enfant qui essaie de comprendre. C’est bouleversant, parce que c’est simple. C’est universel, parce que c’est singulier.


Le cinéma d’Edward Yang ne cherche pas à résoudre nos angoisses. Il les contemple, les accueille, les reflète. Il nous dit : « Voilà ce que nous sommes. Fragiles. Incomplets. Mais regardons-nous quand même. »


Et parfois, dans ce reflet, on se reconnaît.



Elouan Berraud

Comentários


Contactez-nous

Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Dispositif Cannes Classics - département Cinéma et Audiovisuel
8 avenue de Saint-Mandé, 75012 Paris

 

Merci pour votre envoi !

Cannesclassicsusnp © 2024 - Tous droits réservés

bottom of page