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Critique de Barry Lyndon (1975) – Stanley Kubrick

Dernière mise à jour : 25 mai

Critique de Barry Lyndon (1975) – Stanley Kubrick


Stanley Kubrick
Stanley Kubrick


Réalisé en 1975, Barry Lyndon est sans doute l’un des films les plus emblématiques de Stanley Kubrick. Adapté du roman de William Makepeace Thackeray, le film retrace l’ascension et la chute d’un aventurier irlandais au XVIIIe siècle, dans un monde gouverné par les apparences, les hiérarchies sociales et le hasard cruel.


Durant ma troisième année de Licence Cinéma, j’ai eu la chance de suivre un cours consacré à Stanley Kubrick et David Lynch, deux cinéastes que tout oppose en apparence, mais qui partagent un même goût pour les dispositifs de mise en scène puissants et un contrôle absolu sur l’image. Ce cours m’a permis de comprendre la manière dont Kubrick utilise chaque élément de cinéma cadrage, rythme, lumière, musique pour construire une forme de distance émotionnelle et une esthétique de l’aliénation. Barry Lyndon en est l’exemple parfait.





D'après mon cours, Kubrick déploie ici une esthétique profondément influencée par la peinture du XVIIIe siècle, notamment Watteau, Gainsborough ou Caravage. Chaque plan semble composé comme un tableau figé, avec une lumière naturelle saisissante, notamment lors des scènes nocturnes éclairées uniquement à la bougie. Ce procédé, rendu possible grâce à des objectifs f/0.7 développés à l’origine pour la NASA (montés sur une caméra Mitchell BNC), donne au film une texture unique, presque irréelle, où l’image devient peinture vivante.




Les personnages sont piégés dans leur décor, enfermés dans des rapports sociaux immuables. Le cours a souligné combien cette mise en scène « froide » était cohérente avec la fatalité tragique du récit : Barry est un antihéros en quête de reconnaissance, mais le monde qu’il veut conquérir le rejette sans ménagement.





Un des axes majeurs du cours sur Kubrick fut l’analyse de la solitude de ses personnages. Dans Barry Lyndon, cette solitude prend la forme d’un déracinement constant. Redmond Barry est un personnage en errance, à la recherche de figures paternelles (le capitaine Grogan, le chevalier de Balibari, Lord Bullingdon en négatif), mais toujours en situation d’exclusion. Cette quête d’appartenance, teintée d’opportunisme, débouche sur l’échec : son ascension sociale est une illusion, et sa chute, inéluctable.


L’usage d’une voix-off omnisciente et ironique, qui annonce à l’avance les événements tragiques, renforce cette impression de destin écrit d’avance. Le spectateur, comme le protagoniste, ne peut qu’observer, impuissant, le déroulement d’un drame dont il connaît déjà la fin. Cette voix off participe à l'effet de distanciation analysé en cours : le spectateur ne s’identifie pas, il contemple.


Dans le prolongement de ce que Michel Chion appelle des « automates d’une boîte à musique », les personnages de Barry Lyndon sont figés dans des poses rigides, dépourvus d’élan vital. Leur gestuelle, souvent ralentie, souligne la mécanique sociale à laquelle ils sont soumis. Cette rigidité se retrouve dans la composition frontale des plans, d’une symétrie parfaite, sans aucune spontanéité. Tout est contrôle.


Kubrick pousse également très loin la gestion du rythme. Les plans sont longs, les scènes s’étirent avec une lenteur volontaire. Cette temporalité dilatée, étudiée dans mon cours est un point fort de Kubrick, ce qui permet au spectateur de ressentir le poids de chaque geste, de chaque choix. Le destin s’écoule lentement, comme une tragédie antique. La musique classique, notamment le Trio de Schubert, accompagne cette chute en soulignant la cyclicité de l’ascension et de la perte.


Le cours nous invitait à voir en Kubrick un cinéaste de la distance : jamais d’effusion, jamais de pathos. Barry Lyndon en est l’incarnation la plus éclatante. La beauté du film photographie, costumes, décors n’a rien de réconfortant. Elle est froide, indifférente, presque cruelle. Le clair-obscur révèle non seulement la splendeur des lieux, mais aussi les zones d’ombre de l’âme humaine. L’apparente perfection esthétique contraste violemment avec le vide émotionnel et la misère morale des personnages.


Kubrick montre un monde où les codes sociaux écrasent l’individu, où la beauté masque l’hostilité du monde. L’individu peut s’élever, mais il retombera. Et dans cette chute, il sera seul, toujours.


À Cannes, revoir Barry Lyndon en copie restaurée a permis de revaloriser un film longtemps mal compris, mais aujourd’hui reconnu comme l’un des chefs-d’œuvre les plus accomplis de Kubrick. Sa lenteur volontaire, ses compositions millimétrées et sa réflexion sur l’impuissance de l’individu face aux systèmes sociaux en font un film profondément politique, bien que dénué d’effets démonstratifs.


Ecrit par Samantha Moudiki




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