Saïd Effendi - une tranche de vie irakienne
- Djamel Fermigier-Dumortier & Téo Bayon
- 23 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 mai

Saïd Effendi - une tranche de vie irakienne
Parmi les rendez-vous de la sélection Cannes Classics cette année, le film irakien du cinéaste Kameran Hosni de 1957 Saïd Effendi nous a paru important et nécessaire. Nous en sommes sortis pleinement convaincus. Véritable symbole d’un espoir du développement artistique du pays à l’époque, sa restauration en 4K n’a pas pour unique but d’honorer un classique, mais surtout d’affirmer pleinement l’entretien d’une mémoire collective sur une ère culturelle, sociale et géographique trop souvent occultée, voire inaccessible. Projeter Saïd Effendi - et pour la première fois à Cannes un film irakien -, c’est aussi assumer cette part d’histoire, la faire découvrir au monde, accorder un accès à une filmographie qui a beaucoup à nous apprendre.
Le film s’ouvre sur une vie de quartier baghdadi plutôt banale : commerces, gens qui flânent, qui courent ou crient, enfants qui rient, etc. Le personnage de Saïd arrive avec sa lumière, son unicité, un charisme naturel qui le suit et le traverse de part en part, captant d’emblée notre regard intrigué. Pourtant tout en fixité, la caméra nous offre aussi tous les mouvements du quotidien du quartier : vélos, calèches, joies et chants des habitant·e·s, effervescence d’un microcosme, comme une synthèse miniature des plaisirs du monde. Ce n’est d’ailleurs pas qu’en extérieur que tout se joue et se vit. Le film saisit aussi des scènes d’intérieurs modestes, caractérisés par des murs unis et un mobilier sobre, pourtant aux antipodes de la nature de ces mêmes pièces et objets, qu’on devine en effet chargés d’histoire.
Rangée mais rongée, cette société à l’échelle d’une poignée d’habitations, filmée sous cette forme, donne à envisager une dimension plus lointaine, plus réflexive sur les mécanismes et formes des conflits. C’est souvent précis, caustique mais cela permet aussi d’emporter des thématiques de tourments (maladies, peines, amitiés mises en doute, routine usante notamment), rappelant en un sens le cinéma d’Abbas Kiarostami. À ces fins, Hosni adopte un rythme de film quasi-documentaire qui peut rebuter mais dont on doit admettre l’efficacité et la singularité.

“Le problème, ce n’est pas les enfants, c’est l’ignorance des parents.”
Si le film n’est pas exclusivement centré sur les jeunesses du quartier de la capitale irakienne, il reste - et c’est sa plus touchante spécificité - un film d’enfantillages et de naïveté, en particulier quand il s’agit de témoigner des broutilles plus ou moins existentielles entre voisin·e·s ou haussements de ton sur les marchés. Encore une fois, c’est un peu la guerre en moins grand. Et quand on sait qu’un an après, résonnera la Révolution irakienne, c’est d’autant plus percutant. Cet événement - l’équivalent de notre 14 juillet - rompt à ce moment avec la monarchie impopulaire et prépare l’installation d’une démocratie. Cette démocratie privilégiera l’essor de voix locales et cherchera une distance vis-à-vis de l’égide britannique et de sa pensée hégémonique et coloniale.
Saïd Effendi brasse donc, en à peine 90 minutes, beaucoup plus qu’il ne laisse le croire. Magnifique circulation aussi bien que brûlot humaniste et tranquille, l'œuvre de Hosni procure un plaisir sincère de cinéma, s'impose à la fois comme une rareté ancrée dans son époque, mais qui possède également une portée universelle retentissante. C’est par l’humilité de sa narration, son attention portée aux détails du quotidien, et son regard lucide et sensible sur les fractures sociales que la vie de Monsieur Saïd parvient à faire résonner un véritable propos de cinéma, sensible et pluriel.

Sa redécouverte à Cannes Classics ne relève pas seulement d’un hommage au patrimoine cinématographique irakien, mais aussi celui d'une mise en scène unique de morceaux de vie qui sont des clés de compréhension de nos sociétés. Des morceaux de vie au poids politique donc, portés par des interprètes formidables, dont honorer la mémoire s’avère tout autant indispensable que le film lui-même.
Djamel Fermigier-Dumortier & Téo Bayon
Djamel FERM
Comentários