Aranyer Din Ratri : le mirage de la liberté et le miroir des contradictions

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« I can't wait to see my lost friends », confie Simi Garewal au public lors de la présentation de Aranyer Din Ratri (Jours et nuits dans la forêt) de Satyajit Ray. L’actrice raconte qu’il s’agissait d’un tournage sans eau courante, sans moyen de communication. Seule l’équipe technique était présente pour capturer le voyage de quatre jeunes hommes — Ashim, Sanjoy, Hari et Shekhar — dans la forêt de Palamau. Ils sont jeunes, éduqués, urbains, aisés. Ils fuient l’ennui, les obligations sociales et peut-être eux-mêmes. Dans cette nature semi-sauvage, ils espèrent renouer avec une forme d’authenticité. Mais très vite, la forêt, loin d’être un simple décor bucolique, devient un théâtre d’introspection : un espace ambigu où les tensions latentes remontent à la surface, où les certitudes vacillent.

Ray orchestre cette descente dans l’inconscient avec la délicatesse propre à son cinéma : gestes quotidiens, silences éloquents, regards obliques. À travers de petites scènes, souvent anodines en apparence, il laisse deviner les lignes de fracture d’une jeunesse en quête de sens, écartelée entre tradition et modernité, entre désir de liberté et conformisme. Le réalisateur propose ainsi une étude des mœurs urbaines, et son film devient un objet historique. En effet, dans Histoire et cinéma, Marc Ferro explique qu’un film de fiction révèle les réalités sociales en reproduisant de manière inconsciente les habitus d’une époque.

Le film devient alors le lieu où s’exprime le doute masculin. Lorsque les jeunes hommes croisent un petit groupe de vacanciers — une veuve élégante, son amie intellectuelle et un homme âgé malade — leur séjour bascule. Les femmes, Jaya (Sharmila Tagore) et Aparna (Kaberi Bose), deviennent des miroirs déformants, des figures de projection autant que des forces d’opposition. Face à elles, les hommes vacillent, perdent leur assurance, se heurtent à leurs propres limites.

Pourtant, même si Ray semble vouloir mettre en lumière les contradictions du masculin bourgeois, il ne parvient pas toujours à s’extraire de certaines limites. Sous prétexte de lucidité, Aranyer Din Ratri oscille parfois dangereusement entre ironie et complaisance. Les femmes y sont à la fois intelligentes et distantes, présentes mais périphériques. Elles existent surtout par leur impact sur les hommes : elles troublent, défient ou flattent. Leur intériorité, bien que parfois suggérée, reste éclipsée par la centralité masculine du récit. Le personnage de Jaya, notamment, incarne cette ambivalence : cultivée, fine, clairement plus mature qu’Ashim, elle semble néanmoins réduite à un rôle de déclencheur psychologique pour l’homme, et non à celui de sujet à part entière. Les désirs féminins sont absents, ou filtrés à travers le prisme masculin.

Pire encore, certaines scènes, comme l’agression sexuelle commise par Hari sur une villageoise, sont traitées avec une insupportable légèreté. Ray filme cet acte sans réelle condamnation, presque comme une erreur de jeunesse, une bévue passagère dans l’élan de la liberté. Ce silence est lourd. Ce silence est complice. Les hommes, finalement, semblent être partis à la chasse : ils ne cherchent qu’à séduire, dominer, posséder. Ils paraissent incapables d’exister autrement qu’en exerçant une forme de pouvoir sur les femmes.

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