I Love Peru - Ceci n’est pas un film
- Karim Roussel
- 17 mai
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Mais que s’est-il donc passé cette année dans la sélection Cannes Classics ? N’était-elle pas censée être exclusivement dédiée aux rétrospectives de films de patrimoine et aux documentaires sur le cinéma ? Certes, nous pourrions voir dans une certaine mesure I Love Peru comme un documentaire sur le cinéma, dans la mesure où sa première partie retrace la carrière cinématographique de l’acteur français Raphaël Quenard, à travers des images d'archives de tournages des films qui l’ont rendu célèbre, dans un style proche du making-of (à l’exception de Yannick, étonnamment, qui n’est mentionné que très brièvement).
Mais le film mêle également fiction : les images d’archives sont détournées par des ressorts humoristiques qui dressent le portrait d’un acteur présenté comme un loser défaitiste, ignoré ou tourné en dérision par son entourage (François Civil l’évite, Jean-Pascal Zadi le frappe, Michel Hazanavicius se moque de lui…). Dans la seconde partie du film, Hugo David, co-réalisateur du film et meilleur ami de l’acteur, filme la dérive mentale de ce dernier, qui décide de fuir au Pérou afin de rencontrer un chaman susceptible de le guider vers la piste d’un condor, animal mythique qui hante ses rêves nocturnes depuis sa rupture avec l’actrice Anaïde Rozam.
Cessons tout suspense : I love Peru n’est pas un film. Certes, il s’agit bien d’un assemblage d'images et de sons que l’on crée par un montage ; mais de ce fait, une vidéo peut aussi très bien répondre à cette définition. Ce “pseudo-film” échoue donc sur deux points essentiels du cinéma : il est totalement dépourvu d’une quelconque idée de mise en scène, et surtout, il ne porte pas la moindre intention. Pourtant, Hugo David, qui n’avait jusque-là réalisé que des films de mariage, annonce au début du film son rêve de réaliser un “film de cinéma”, avant de déclarer à la fin avoir accompli ce rêve. Mais coller des images les unes aux autres, sans réflexion ni point de vue, ne suffit pas à faire œuvre de cinéma. Soyons clairs : si I love Peru est considéré comme du cinéma, alors une vidéo YouTube pourrait très bien prétendre à la Palme d’or du Festival de Cannes 2026.
Nous pouvons aussi évoquer le montage, aussi haché qu’un steak Charal, qui ne laisse aucun répit dans ce film bien trop frénétique. Heureusement, le film ne dure qu’1h08 ; mais c'est justement ce format qui l’empêche de raconter quoi que ce soit en profondeur, ou du moins de prendre le temps de le faire. Sauf, bien sûr, lorsqu’il s’agit de flatter l’ego de Raphaël Quenard, avec une complaisance appuyée pour souligner à quel point sa carrière serait une réussite éclatante. On ne comprend jamais où le film veut aller ; et franchement, on n’a pas forcément envie de le découvrir, tant le documentaire n’arrive jamais à être captivant un seul instant.
I love Peru est pensé comme une comédie. Je dis bien penser : ne vous attendez pas à rire, à moins d’être un fanatique absolu de l’acteur, ou un de ses proches. À la 10ème blague où l’acteur relaye lui-même une rumeur sur une affaire de pédophilie le concernant (« ah il y a des lycéens à la conférence ! Je pourrais leur montrer ma bite alors »), on sature. L'humour ne fait preuve d’aucune subtilité : tout n’est que vulgarité, méchanceté gratuite, et provocation sans limites. Après une succession de blagues scatophiles, j’en conclus donc rapidement que je suis devant un film de merde.
Ah ! et ai-je oublié de mentionner le racisme ? Fiction comme documentaire, l’acteur enchaîne les clichés racistes pour illustrer sa vision du Pérou. À ce stade ai-je finalement encore besoin d’argumenter sur la qualité inexistante de ce projet ?
I love Peru est la métaphore d’un paradis fiscal : une simple vidéo de vacances de Quenard parvient à se faire passer pour un film, et mieux encore, arrive à être sélectionné dans le festival de cinéma le plus prestigieux au monde. Paradoxe total devant cet objet : où se situe la frontière entre la vidéo et le film de cinéma ? Même si ce projet a le mérite de relancer ce débat ontologique, il n’a malheureusement rien d’autre à offrir. En fin de compte, il ne fait que gaspiller le bien le plus précieux du spectateur : son temps.
EDIT : Me revoilà quelques jours après la projection. Un ami m’envoie un message : il vient de voir une interview télévisée de Raphaël Quenard qui parle de I love Peru. Alors qu’à la première cannoise, il présente fièrement son projet comme un film où l’on ne discerne pas le documentaire de la fiction, le discours a changé. Voilà qu’il présente désormais le projet avant tout comme une œuvre de fiction. Aveu d’échec du cinéaste, ou peur d’éventuelles - et légitimes - polémiques (avec par exemple, dans l'une des scènes où l’on devine le documentaire, se déroule un échange téléphonique entre une programmatrice d'un festival et Quenard, où ce dernier blague sur ses fantasmes pédophiles) ? Réponse à la sortie prochaine du film, cet été.
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