Docu sur David Lynch, un hommage cinéphile vibrant
- Djamel Fermigier-Dumortier & Téo Bayon
- 17 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 mai
Docu sur David Lynch, un hommage cinéphile vibrant

“On comprenait rien mais c’était sublime.”
Entendue par un spectateur à la sortie immédiate de la séance, cette phrase, récurrente dans les retours des spectateur·ice·s semble décrire la filmographie de Lynch selon beaucoup de personnes. Pour nous aussi.
Dans David Lynch : Une énigme à Hollywood, Stéphane Ghez s'emploie à la tâche de condenser la vie du cinéaste du bizarre et du déroutant. Promesse tenue. Son film s’ouvre sur un ton aussi énigmatique et tortueux, relatant l’obsession artistique de Lynch : le Rosebud. Raconter la vie d’une personne apparaît difficile, voire impossible. Dans cette mesure, et pour reprendre Lynch lui-même, “le mieux que l’on puisse espérer, c’est de capturer le ‘Rosebud’ - le mystère - de chacun·e”. Stéphane Ghez cherche le mystère en Lynch et nourrit sa passion cinéphile en le sondant, en mettant en comparaison les évolutions et en décortiquant les incidences de son art sur les autres et lui-même.
De Eraserhead à Inland Empire, en passant par Blue Velvet et Sailor et Lula (mais pas par le fabuleux Une Histoire Vraie [et on le regrette]), le documentaire de Stéphane Ghez dresse d’abord une chronologie linéaire du réalisateur américain, parfaitement à son image : travailleuse, humaine, intime, hallucinée parfois.
Pour ce faire, ont été rassemblées une multitude d'extraits et une multitude d'invité·e·s : regards complices, première épouse, acteur·ice·s ayant tourné avec, directrice artistique, historien·ne·s du cinéma plus ou moins barbu·e·s, pour ne citer qu'elles et eux.
De la même manière que le fils de Lynch, présent à notre séance et qui a vanté le goût du mystère de son papa, ces dernier·e·s y confient leur relation avec celui qu’ils·elles appellent sobrement David, une relation proche, de confiance, sous le signe de la bienveillance (et de l’efficacité créatrice quand il s’agissait de pratique cinématographique). Un aspect touchant et vrai espace d’estime pour l’homme qui les fascinait et les fascine toujours.

Cette approche permet d’installer le parcours personnel méconnu de Lynch avant son succès, à commencer par son goût pour la peinture et la sculpture, qui motivent ses premiers projets de films courts animés. Des anecdotes précises de sa vie nous amènent également à établir un lien étroit entre sa personne, sa personnalité et son cinéma. C’est à la fois ce qui repousse certain·e·s spectateur·ice·s mais aussi ce qui permet à ses films toute une portée universelle : traduire des angoisses parlantes, des intimités contrariées, des failles, etc. en point d’orgue dans Lost Highway notamment qui illustre l’indicible, l’incommunicabilité, le non-sens et le surréaliste comme rarement auparavant.
Lynch, au-delà d’une esthétique du son et de l’image particulière, c’est aussi l’illustration d’importants bouleversements de l’industrie américaine. Twin Peaks renouvelle le monde de la série et fait de ce genre sous-considéré un véritable mouvement culturel et de société, fait de tendances, de modes, d’attentes et de suspenses. Cette révolution permet un temps à la télévision états-unienne de s’approprier de nouveaux publics, de gagner en popularité et de s’emparer des dynamiques sociales de l’époque (chose qu’on retrouvera avec la deuxième saison de Twin Peaks, constat accablé d’une pauvreté rampante dans des banlieues urbaines).
Mais car David Lynch est un homme trouble et troublé, sa vision d’Hollywood n’est pas pour autant pleinement le lieu du langage cinématographique social et libéré. S’il admire d’une part l’aspect lumineux rêveur, nostalgique de l’âge d’or, etc. des studios de la côte ouest, il se montre aussi conscient et critique d’un star-system toxique : intérêts écrasants, promesses de succès, etc. Comme illustration à cette dichotomie, une même période voit la sortie d’Elephant Man et de Dune. Le premier est ce que cherche Lynch au plus profond : le cruel humaniste, la liberté de sujets, la forme affirmée. Le second se voit, lui, parasité par l’appât du gain des studios et une mainmise de la production sur le montage.

De cette frustration, naît une promesse. Celle de toujours sortir au cinéma son final cut et rien d’autre.
Blue Velvet sera la première œuvre à respecter cet engagement. Et c’est d’ailleurs sûrement la plus parfaite à notre sens, même au milieu de ce qui suit (ou du moins, la plus représentative du cinéaste).
Le but n’est pas de comprendre un film. On privilégie l’expérience intérieure que l’on s’en fait, la recherche immédiate, en acceptant qu’elle n’a pas forcément à aboutir à une conclusion figée. Un documentaire peut tout autant obéir à cette conception. Adoptant une structure linéaire mais aussi métaphysique en un sens et moins explicite parfois, Stéphane Ghez honore cette perception, qui est celle du Lynch qu’il met en lumière, ce même Lynch qui le remerciera pour son film dans un mail, quelques semaines avant de mourir. Un mail entièrement écrit en majuscule.
Djamel Fermigier-Dumortier & Téo Bayon
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